Mediator (suite) : la réforme du médicament adoptée par les députés

L’affaire Mediator a fait émerger de nombreuses carences de la gestion publique et privée du médicament en France. Afin de tenter de les corriger, le ministre de la santé Xavier Bertrand a proposé une réforme approuvée le 4 octobre par l’Assemblée Nationale par les députés de la majorité. Prochaine étape : le Sénat.

 309 voix pour, 31 voix contre La réforme du médicament, dont Xavier Bertrand avait présenté les grandes lignes fin juin,

a donc été adoptée par la majorité des députés présents : 285 députés UMP, 18 élus du groupe Nouveau Centre et 6 députés non-inscrits, dont François Bayrou et Nicolas Dupont Aignant. Par contre, la plupart des députés de l’opposition de gauche et des écologistes se sont abstenus et 31 ont voté contre, estimant apparemment que les avancées contenues dans ce texte étaient insuffisantes. Lutter contre les conflits d’intérêt 

L’

affaire Mediator ® a jeté un doute sur la pertinence de l’autorisation sur le marché des médicaments : sont-ils autorisés parce qu’ils répondent à un besoin thérapeutique, ou le sont-ils parce que tel ou tel laboratoire a influencé l’Afssaps (l’agence du médicament), la Haute Autorité de Santé et/ou le ministère ? De même, les effets secondaires sont-ils vraiment pris en compte ou étouffés, par exemple en retardant la publication d’une étude ou en faisant pression sur les lanceurs d’alerte, puis les autorités ? 
Afin d’améliorer cette situation délétère en termes de confiance et de santé publique,

la réforme votée au Parlement prévoit de renforcer la transparence du système, avec :
La création d’une “charte de l’expertise“ : elle précisera “les modalités de choix des experts, le processus d’expertise et ses rapports avec le pouvoir de décision, la notion de lien d’intérêts, les cas de conflits d’intérêts, les modalités de gestion d’éventuels conflits et les cas exceptionnels dans lesquels il peut être tenu compte des travaux réalisés par des experts présentant un conflit d’intérêts“.
L’obligation de publier les conventions et avantages, en nature ou en espèces, accordés par les entreprises du médicament à tous professionnels de santé et paramédicaux, experts, sociétés savantes, associations et organes de press (transposition française du “Sunshine Act“, en vigueur aux Etats-Unis). En cas de manquement, les laboratoires s’exposeront des “sanctions pénales“ Cependant, ils ne seront pas tenus de rendre publiques les sommes allouées aux étudiants en médecine pour les loger, par exemple lorsqu’ils les invitent à des congrès.
La systématisation des déclarations publiques d’intérêt (DPI) qui doivent être remplies par les experts, les participants aux groupes de travail, etc. Ces DPI seront consultables via une base de données publique et tout oubli sera passible de sanctions.
Une transparence accrue des décisions des agences et instances publiques : enregistrement vidéo des débats et décisions des commissions, conseils et instances, amélioration de la lisibilité des comptes-rendus et ordres du jour.
Un encadrement de la publicité pour les dispositifs médicaux afin d’éviter les allégations mensongères.
Un rapport sur le financement des associations de patients et leurs besoins sera également remis au Parlement par le Gouvernement, “au plus tard le 30 juin 2012“. 

 Une nouvelle agence du médicament L’Afssaps, dont les décisions concernant le Mediator ® et d’autres médicaments ont été très critiquées, va devenir l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé). Outre ce changement de nom, son conseil d’administration ne comportera plus de représentants de l’industrie pharmaceutique et son budget “sera garanti par l’assurance maladie et non plus par les contributions de l’industrie“,

comme l’a souligné Xavier Bertrand après le vote. L’ANSM devra également améliorer l’évaluation des médicaments (même si les études d’efficacité versus placebo seront toujours prises en compte), y compris ceux qui sont sur le marché depuis plusieurs années. En ce qui concerne la pharmacovigilance, l’ANSM va avoir un rôle central : elle devra procéder “à l’évaluation scientifique de toutes les informations qu’elle recueille, les traiter et transformer des signalements en alerte“. L’ANSM devra aussi avoir accès à la liste de tous les essais cliniques pratiqués par le laboratoire avant l’autorisation de mise sur le marché (AMM) et elle pourra ordonner la réalisation de nouvelles études “dès lors que des suspicions existent sur un médicament ayant fait l’objet d’une AMM“. 
L’agence devra également émettre des “recommandations temporaires d’utilisation“ pour les médicaments prescrits par les médecins en dehors de leurs indications officielles, valable 3 ans au maximum. Enfin, les laboratoires seront tenus de mieux informer l’ANSM, en particulier en cas d’arrêt de commercialisation dans un autre pays que la France d’un médicament titulaire d’une AMM.
Mais aussi… La visite médicale, fortement contestée dans l’affaire Mediator (les visiteurs médicaux ne mentionnaient pas la nature amphétaminique du produit), sera légèrement réformée : les visites hospitalières individuelles seront interdites (mise en place de visites hospitalières uniquement groupées). Une base de données “administratives et scientifiques sur les maladies et leurs traitements sera également mise en ligne, sous l’égide de la Haute Autorité de Santé. Enfin, un véritable statut protecteur“ pour les lanceurs d’alerte, comme le Dr Irène Frachon, va être mis en place. En effet, ces derniers peuvent subir des pressions de la part des industriels ou autres. 

 La Formation médicale continue toujours financée par les laboratoires Toutes ces mesures font suite aux différents rapports émis par les professionnels de santé, associations et autres sociétés savantes, entreprises du médicament et privées suite à la crise du Mediator ® (

rapport de l’Igas,

Assises du Médicament, etc.). Or ces rapports évoquaient tous la nécessité d’assurer une formation médicale continue indépendante pour les professionnels de santé. Sous réserve de changements au Sénat ou de la publication de décrets spécifiques, cette réforme ne comporte pas de disposition en ce sens. Les industries du médicament pourront donc toujours proposer différentes formations aux professionnels, en complément de la visite médicale. 
Quant à la formation initiale, la députée socialiste (et pharmacienne) Catherine Lemorton

s’est inquiétée au moment du vote de la loi : “comment assurer l’indépendance de nos futurs médecins quand la loi sur l’autonomie des universités renforce le lien entre les firmes pharmaceutiques et les étudiants ?“.
Les recours collectifs toujours impossibles en France 
Aux Etats-Unis, plusieurs class-actions (actions de groupe) ont permis d’accélérer le retrait du marché de certains médicaments ou publicités mensongères. Elles permettent aussi une indemnisation collective et donc plus rapide des victimes.
Mais en France, il n’est toujours pas possible de faire de telles actions de groupe portées par les associations représentatives, malgré les demandes de ceux qui se sont battus dans l’affaire Mediator ®, comme le député socialiste Gérard Bapt. Certes, le

fonds d’indemnisation administré par l’Oniam depuis le 1er septembre pourrait permettre une compensation financière relativement rapide pour les victimes, mais quid du volet judiciaire de cette affaire, qui risque de durer plusieurs années ? Et quand seront correctement indemnisées les victimes d’autres médicaments, par exemple

les enfants nés de mère sous Distilbène ® ? Ce texte de loi, en l’état, comporte donc de nombreuses avancées mais aussi plusieurs lacunes importantes. Cependant, il peut encore être modifié, l’opposition étant désormais majoritaire au Sénat. Madame Lemorton a d’ailleurs justifié l’abstention du groupe socialiste, radical et citoyen “afin de donner au texte une nouvelle chance d’amélioration au sein de la Haute assemblée“. Suffira-t-il à restaurer la confiance des Français “qui veulent être rassurés sur leur système de santé“, comme l’a justement mentionné en conclusion Xavier Bertrand ? Jean-Philippe Rivière 
Sources :
– “Scrutin public sur l’ensemble du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé“, 4 octobre 2011,

accessible en ligne
– “PROJET DE LOI relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, adopté par l’Assemblée Nationale en première lecture“, 4 octobre 2011, texte de loi

accessible en ligne
– “Renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé“, séance du 4 octobre, vote sur l’ensemble, compte-rendu

accessible en ligne
– “Renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé“, séance du 4 octobre, explications de vote, compte-rendu

accessible en ligne
Photos :
– Xavier Bertrand et Gérard Bapt à l’Assemblée (illustration), février 2011, © FACELLY/SIPA
– Façade actuelle de l’Afssaps, © DURAND FLORENCE/SIPAClick Here: cheap nrl jerseys